Dorothy Hart : un profil
Que puis-je dire sur Dorothy? Comment la décrire? C'était vraiment un être extraordinaire. Il suffit de dire qu'elle a été unie pendant 19 ans à ce génie qu'était Roy Hart, et que cette union était créative. Ce n'était pas là chose facile. Sa famille était originaire d'Ecosse. Elle avait l'allure d'une Ecossaise avec sa longue chevelure noire tombant sur ses épaules, son sourire vif, son regard rieur et perçant. Son caractère était très optimiste et malgré de noires dépressions passagères, sa vie était entièrement tournée vers le positif. L'une de ses paroles préférées était " Mauvais débuts, bonnes fins ". Elle avait le sens de la joie, de la plaisanterie, et le niveau d'énergie qu'elle avait spontanément pouvait même être parfois épuisant. Tous ces aspects de sa personnalité la rendaient très attachante.
Dorothy avait aussi en elle une grande force intérieure, une grande puissance. Elle faisait preuve de sagesse, de discernement, et savait se battre pour ce en quoi elle croyait. Elle était extrêmement intelligente. Licenciée en Anglais de l'Université de Cambridge, elle possédait parfaitement la langue anglaise. Pratiquement tout ce que signait Roy comme ayant été écrit par lui avait d'abord été élaboré par Dorothy.
Au moment de sa mort, Dorothy n'était pas seulement pour moi un amie très proche, elle était aussi mon amante. Nous étions amants depuis deux ans. C'est elle qui me fit une déclaration d'amour, pendant des vacances de ski en Norvège. Voici une citation extraite de son " Livre des Révélations " (manuscrit personnel du 9 Février 1973)
" ...ainsi Paul et moi nous restions seuls, sans qu'il n'y ait encore aucune divine tentation. J'étais allongée sur ma petite couchette lorsqu'il vint m'embrasser pour me souhaiter bonne nuit ; si j'avais été celle que j'étais 20 ans plus tôt, celle dont le corps criait ce qu'il ressentait, j'aurais agrippé le ciel et l'enfer, sur un coup de tête, sans réfléchir. Mais au lieu de cela, le Bon Sens disait "Attends"... C'était cependant une des plus belles nuits de ma vie, parce que je me sentais transmutée, comme dans un gigantesque creuset d'alchimiste, transmutée en amour absolu. "
Et quelques jours plus tard, dans le même manuscrit...
"... Alors je lui dis soudain que toute mon agressivité n'était qu'un masque, parce que je voulais qu'il m'embrasse. Il rit de nouveau, mais avec encore plus de douceur, et il exauça mon souhait. "
Ce fut le début de notre liaison. Dorothy resta l'épouse de Roy, dans tous les sens du terme, jusqu'à leur mort. Roy était tout à fait au courant de notre liaison, et il l'affirmait pleinement. Son amour pour Dorothy était fort, peut-être plus fort encore qu'avant. En assumant ces deux relations, Roy ne cherchait pas à encourager la promiscuité ni les aventures sexuelles, il poursuivait la quête d'un équilibre, d'une meilleure compréhension des diverses énergies qui cohabitent en une même personne.
Je me lançais avec bonheur dans cette relation avec Dorothy, dont j'étais très amoureux, et pour qui j'avais le plus grand respect. Dorothy était une personne très généreuse, qui s'engageait entièrement. Nous parlions et nous jouions, nous chantions et nous riions avec toute l'exubérance de jeunes amants. Elle avait 47 ans à l'époque, et moi 34. J'appris beaucoup de cet amour qui nous unissait. Surtout, j'appris comment recevoir un enseignement de la part d'une femme, ce qui était vraiment difficile pour moi à ce moment. J'avais eu une mère forte, possessive, et à cause de cela j'acceptais souvent mal d'être dirigé ou enseigné par une femme. Dorothy me permit de travailler ce problème, et à la fin du compte cela m'a rendu plus sage et plus fort.
Je savais que moi aussi je l'aidais. Pour citer encore le "Livre des Révélations"
toutes les possibilités de notre relation. Je mis tous mes meubles dans un entrepôt et j'ai emballé tous mes biens les plus précieux, mes livres, mes partitions. J'ai acheté une machine à tricoter pour pouvoir démarrer une activité dans cette région pauvre et sous-développée où vivait la tribu de Kidaha. Pendant les huit mois avant le départ en bateau, je me suis formée en cuisine, hygiène, secourisme, soins aux enfants, couture, etc. Je projetais d'aller en Afrique préparée à une vie d'engagement. Je ne voulais pas seulement aimer Kidaha, je voulais m'intégrer à sa communauté en étant préparée pour travailler. Tout cela semblait un rêve merveilleux, pourtant quand j'ai préparé mes affaires dans mon appartement à Londres, mes mains tremblaient si fort de peur à l'idée de ce que j'allais faire, que je pouvais à peine me concentrer pour ranger les choses, et pourtant j'avais la certitude absolue que je DEVAIS y aller. J'ai ressenti ce que c'est que d'être un instrument pour des forces qui vous traversent. C'est à ce moment que je devais débloquer ces idées figées sur les gens de couleur, ces idées qui étaient les miennes comme celles de ma famille. Cette tâche accomplie, la Force de l'Education me ramena en Angleterre. J'étais nue. Ma bravoure intellectuelle ne se voyait pas, mes diplômes ne me servaient pas. Ma couleur blanche se mêlait au brun, personne en Angleterre ne pouvait reconnaître la valeur de Kidaha. Durant deux ans après la naissance de Jonathan, je n'allais plus à la messe, je savais que je ne pouvais plus être une Catholique telle que l'exigeait l'Église établie. Tous les magnifiques soutiens que m'avait gentiment donnés ma famille s'en étaient allés, et qu'est-ce que j'ai appris ALORS sur moi-même dans ma nudité ? J'ai appris que je croyais en moi-même, en mon aptitude à la joie, que je croyais PASSIONNÉMENT à ma propre morale, une morale orientée religieusement. J'étais heureuse, à l'intérieur même de ma lassitude et de ma tristesse.
C'est durant cette période agitée que j'ai rencontré Roy, et à travers sa Voix je suis arrivée au Chant. Le processus de l'illumination commença à se transformer en une conscience lucide. Je sentais que Roy était comme moi un être moral, mais avec davantage de connaissance, c'est pourquoi je tâchais de me fier à lui. J'ai toujours cette confiance dans le sens moral fondamental de Roy, et quand je jette un regard en arrière sur notre relation, que je vois quels grands et tristes défis nous avons dû vivre ensemble, je m'émerveille que Dorothy Findiay soit encore là, malgré son égoïsme et sa tendance à se sentir trahie.
J'ai " épousé " Roy sans aucun soutien d'aucune sorte. J'ai cru, et je crois encore, que mon acte était vraiment sacré, et ce fut, c'est toujours, le mariage d'un couple. Je n'ai jamais compris comment Roy le voyait alors. A cette époque, j'acceptais que Roy puisse avoir avec d'autres femmes des relations physiques... J'étais SI LOIN d'accepter consciemment mon corps. Cela m'a coûté pendant longtemps, mais à présent je vois très clairement ce que signifie réellement la philosophie d'Abraxas. Elle signifie que certains pas en avant requièrent préalablement une chute terrible dans ce qui paraît être l'obscurité. Pour chacun, cette sorte de pas... un grand recul négatif pour obtenir un bénéfice apparemment insignifiant... se produit de manières différentes, suivant les propres blocages de chacun. C'est comme de se battre des années et des années pour arriver à descendre de deux notes sur le piano. Quoique j'ai facilement trouvé mes sons ténor et baryton, le contralto était une rivière que je ne voulais pas traverser et dont j'ai eu peur très longtemps.
OÙ JE SUIS MAINTENANT.
Je suis en meilleure santé de corps et d'esprit que je ne l'ai jamais été depuis 15 ans, et la bonne santé que je connaissais il y a 15 ans était jeune et n'avait jamais été mise à l'épreuve. Tandis que celle d'aujourd'hui connaît la maladie et la bonne santé, elle les contient.
Je remarque que les dons et les talents que j'ai et que j'ai travaillés il y a longtemps donnent peu à peu leurs fruits. Le travail au piano, en musique et en chant que j'ai fait à Cambridge, mes connaissances en Français, mon amour fidèle pour la danse, mes efforts à l'université pour acquérir un esprit critique intelligent,... ce sont autant de voies de recherche et je commence à voir mes énergies se rassembler. "