MALÉRARGUES (Gard)
de notre envoyée spéciale Petits-enfants du Berlin des années 20, enfants du Londres turbulent des sixties, les libres artistes de Malérargues'sont les héritiers d'une histoire unique. Cette constellation d'individus,réunis en un collectif assez souple, est restée fidèle à là conception dé la voix humaine que défendait leur maître, Roy Hart. Dans le hameau cévenol oùils sont installés depuis 1975, ces hommes et ces femmes forment chaque année des dizaines d'amateurs ou de professionnels.
L'histoire commence avec la première guerre mondiale, lorqu'un professeur de chant deb Berlin, Alfred Wolfsohn, est réquisitionné dans les tranchées. Les cris émis par les blessés et les mourants le bouleversent : «J'entends une voix qui hurle :. "Camarade ! Camarade !" Je ferme les yeux, terrorisé, pensant : commentest-il possible qu'une voix humaine émette de tels sons ?» De retour à Berlin, hanté par ses souvenirs, Wolfsohn chante pour exorciser ces sons extrêmes, tout en préservant l'énergie qu'il y a perçue. Il découvre ainsi que la voix peut aller des notes les plus aiguës du piano aux plus basses et émettre des timbres très différents.
Le nazisme interrompt les recherches de ce juif berlinois qui émigré en Angleterre. A la fin de la guerre, il forme un groupe d'élèves, dont fait partie Roy Hart. Né enAfrique du Sud, diplômé de l'université de Johannesburg, le jeune homme est venu à Londres étudierà l'Académie royale d'art dramatique. Il se passionne pour les conceptions de Wolfsohn, au point de prendre sa relève à la mort du maître; II constitue le Roy Hart Théâtre et crée Les Bacchantes, d'Euripide. La pièce estjouée au Festival de théâtre de Nancy en 1969. Roy Hart chante aussi des œuvres comme Eight Songs for a Mad King, que le compositeur Péter Maxwell Davies a créée pour lui. En 1972, la troupe est invitée par Jean-Louis Barrault aux journées du Théâtre des nations.
L'effervescence libertaire 'des années 70, le goût des expériences artistiques non conformistes stimulent la compagnie. En 1974, eue quitte Londres pour construire une communauté de vie et de travail dans un hameau abandonné des Cévennes, à Malérargues, près de Lasalle. Le groupe n'est pas riche et retape lui-même les maisons en ruine, tout en travaillant sur des chantiers ou chezdes agriculteurs voi sins. Mais, en mai 1975, Roy et Dorothy Hart sont tués dans un accident de voiture. Après la mort de leur directeur, les artistes choisissent de poursuivre ensemble leurs recherches théâtrales et vocales. Ils montent La Tempête, de Shakespeare, Le roi se meurt, de Ionesco, l'opéra de Ruggero Leoncavallo, Pagliacci, et des créations collectives, tout en dispensant l'enseignement de Roy Hart, fondé sur la leçon de chant.
Aujourd'hui, des membres de la troupe sont partis, des jeunes ont gagné Malérargxies. La compagnie initiale a donné naissance à plusieurs ensembles/certains tournés vers le théâtre, d'autres vers le chant. L'enseignement a pris une part primordiale. Cet eté, une trentaine de stages, d'une durée de quatre à sept jours, sont proposés, consacrés au jazz, à la chanson, au conte et aux différents aspects du travail de la voix. La pédagogie se fondé sur l'encouragement et la confiance. Chacun est invité à utilliser au plus loin de ses capacités, en lien avec sa personnalité et ses émotions. Dans une époque obsédée par la performance, le centre artistique Roy Hart a su rester un aôt original de liberté et de respect de la personne.
Catherine Bédarida